Diversité du cinéma américain (fin des années 1920)

Hollywood, ce n'est pas seulement le rire et les larmes, le burlesque et le mélodrame. Au cours de la dernière décennie du muet, si le cinéma américain domine économiquement tous ses concurrents, il se distingue également par sa qualité artistique, par le grand nombre de réalisateurs, acteurs et techniciens étrangers qu'il sait attirer à lui et, résultat probable de ces apports européens, par son extraordinaire variété.

Murnau
Après von Stroheim, le deuxième génie germanique exilé à Hollywood, c'est Murnau, arrivé en 1926. On a vu que «L'Aurore», immense chef-d'oeuvre, n'avait pas été un succès. Désormais Murnau n'aura plus les coudées franches et il ne pourra pas faire de «City Girl» (qui devait d'abord s'appeler «Our daily bread») le grand film américain dont il rêvait. Et pourtant «City girl» est à nouveau un chef-d'oeuvre, même si Murnau l'avait voulu différent, même si ce n'est pas l'épopée qu'il avait souhaitée mais un film intimiste.
Un jeune paysan, Lem (joué par Charles Farrell, acteur favori de Borzage) est envoyé à la ville par son père afin de tirer un bon prix de la récolte de blé. Il y fait la connaissance de Kate, une serveuse (Mary Duncan), l'épouse et la ramène à la ferme paternelle. Mais le père déteste Kate qu'il soupçonne de n'être intéressée que par l'argent; quand il la frappe, Lem le laisse faire. Choquée de voir que Lem n'ose pas s'opposer à son père, Kate lui ferme sa porte au nez et décide de retourner à la ville. Mais la fureur des éléments (une violente tempête) va obliger Kate et son mari à se réconcilier et le père à revenir à de meilleurs sentiments.
Alors que «L'aurore» était encore un film allemand, «City girl» est tout ce qu'il y a de plus américain, avec les grandes plaines couvertes de blé et les villes modernes de la côte est.

King Vidor
King Vidor est un réalisateur 100% américain et il entreprend en 1927 un film original par sa banalité même: «La foule» (The crowd). Un film sur New York, sur le travail dans une grande entreprise, sur la vie d'un couple ordinaire, avec ses petits bonheurs (un pique-nique à la plage, une soirée au spectacle), ses tragédies (la mort accidentelle de leur petite fille), ses conflits (l'homme perd son travail, la femme trouve qu'il ne fait pas assez d'efforts pour en trouver un nouveau). Et toujours ces gens normaux, ordinaires, sont montrés au milieu des rues, des gratte-ciels, des plages, pleins d'un monde grouillant, au milieu de la foule.

«Solitude»
On a envie de rapprocher ce film d'un autre qui en est apparemment l'antithèse: «Solitude», de Paul Fejos (1928), un Hongrois récemment immigré. Un ouvrier et une téléphoniste nous sont présentés, chacun de son côté, dans leur vie quotidienne: ils s'éveillent, vont au travail... Un jour ils se rencontrent à une fête foraine, se plaisent, puis se perdent de vue. Le hasard les fait se retrouver: ils s'aperçoivent alors qu'ils habitent des appartements voisins. C'est certes un «petit film», surtout comparé au chef-d'oeuvre de King Vidor, mais vivant et sympathique.

Fictions documentaires
Le cinéma américain de ces années-là s'intéresse au monde entier et il est capable de le voir autrement que sous l'aspect de l'exotisme.
En 1916, Robert Flaherty part pour le Groënland et y tourne des kilomètres de pellicule sur la vie des Esquimaux. Mais le négatif disparaît dans un incendie. Flaherty ne se décourage pas, il retourne au Groënland, choisit de vivre plusieurs mois dans une famille esquimau. Et c'est ensuite seulement qu'il va filmer, avec leur accord, la vie quotidienne d'un homme esquimau, de sa femme, de leurs enfants: la construction d'un igloo, les techniques de pêche, la chasse au phoque, une tempête de neige, un repas de viande crue... Certaines scènes sont reconstituées, «jouées» - sur place, bien sûr. Le film, «Nanouk l'esquimau» (Nanook of the North, 1922) est une sorte de compromis entre documentaire et fiction. L'idée de Flaherty est de montrer les Esquimaux «tels qu'ils se voient».
En 1926 Flaherty ira dans les mers du Sud tourner aux îles Samoa après avoir passé deux années à vivre avec la population maorie. Ce sera «Moana», autant poème que documentaire et d'une précision ethnographique sur le thème du «dernier paradis».
Les films de Ernest B. Shoedsack et Merian C. Cooper (ils tournaient ensemble) se présentent comme des documentaires mais furent en partie mis en scène. «L'exode» (Grass, 1925) montre les transhumances des tribus nomades Baktyari (en Iran) avec leurs troupeaux. Leurs itinéraires furent parfois changés pour trouver des paysages plus photogéniques ou plus spectaculaires – ce qui d'ailleurs n'enlève rien aux qualités du film ni même à sa vérité. En 1927, ils tournèrent «Chang» dans la jungle thaïlandaise. A nouveau une «mise en scène documentaire» où les animaux jouent un grand rôle (Chang est un éléphant).
Et encore deux films en Polynésie. En 1930, «Ombres blanches» (White shadows in the south seas) de Woodbrige S. Van Dyke, un film de fiction qui aurait dû être réalisé par Flaherty. Mais ce dernier, trouvant l'histoire trop romanesque et déplorant l'emploi d'acteurs américains, se retira après avoir filmé quelques scènes documentaires. Et pourtant le film tel que nous pouvons le voir aujourd'hui est magnifique. Un médecin se retire dans les mers du Sud et vit avec une jeune femme maorie. Il se laisse tenter par l'appât du gain et il est tué par des trafiquants. Quant à la jeune femme, elle n'aura d'autre issue pour survivre que la prostitution. Il est rare, dans un film de Hollywood, de trouver une fin aussi pessimiste et aussi amère. Tourné en 1928, le film a été sonorisé après coup.
L'autre film polynésien, c'et le magnifique «Tabou» de Murnau, tourné en 1931 à Bora-Bora avec des amateurs, tous maoris. Là aussi, Flaherty a travaillé sur le film.
Un jeune homme aime une jeune fille destinée à devenir prêtresse et donc «taboue». Elle partage ses sentiments et s'enfuit avec lui. Ils vivent heureux quelque temps puis le grand prêtre les retrouve et enlève la jeune fille; en voulant la rejoindre, le jeune homme se noie. Très belles images, évocations d'un paradis perdu. Ce sera le dernier film de Murnau: quelques jours avant la première, il est tué dans un accident de voiture près de Los Angeles. Il envisageait de retourner au moins pour quelque temps en Allemagne et il était très enthousiaste devant les possibilités qu'offrait le parlant. Il avait 42 ans.

Westerns
Le genre américain par excellence, le western, existe aux Etats-Unis depuis les débuts du cinéma, depuis «Le vol du rapide» (The great train robbery) en 1903. Griffith a tourné des westerns. Le mythe du cow-boy, William S. Hart ou Tom Mix, s'impose très tôt. Mais il faut attendre les années 20 pour qu'apparaissent les premiers grands westerns.
Comme «La caravane vers l'ouest» (The covered wagon, 1923) de James Cruze. Pour raconter l'histoire de deux convois sur la piste de l'Orégon en 1848, Cruze et ses scénaristes ont voulu que tout dans leur film soit aussi authentique que possible, et par exemple les Indiens sont de vrais Indiens. Cette ample épopée est devenue un modèle de western avec ses scènes spectaculaires (traversée d'un fleuve, prairie en feu, attaque par des Indiens) et ses vastes paysages (le film fut tourné dans le Nevada et l'Utah).
Mais le maître du western, c'est dès cette époque John Ford. Dans une production déjà considérable il faut retenir au moins deux titres. «Le cheval de fer» (The iron horse) en 1924, sur la construction du premier chemin de fer reliant l'Atlantique au Pacifique. Un film de deux heures et quart, à la fois épique et intimiste, où le personnage d'Abraham Lincoln fait une apparition. Et moins connu mais tout aussi parfait, «Trois sublimes canailles» (Three bad men, 1926) où trois mauvais garçons protègent un jeune couple et se sacrifient pour le sauver. C'est tourné dans le Dakota et ça se passe au temps de la ruée vers l'or. Le même acteur incarne le personnage central dans les deux films: George O'Brien, le futur héros de «L'aurore».

Films de guerre
Les films sur la première guerre mondiale commencent à apparaître. Deux surtout sont à retenir: «La grande parade» (The great parade, 1925) de King Vidor, où l'on voit un jeune Américain s'engager puis aller combattre en France – camaraderie, amours avec une jolie paysanne française, bataille dans un bois, blessure, perte d'une jambe... le scénario n'est guère original mais les images donnent une grande impression d'authenticité. «Les ailes» (Wings, 1927) de William Wellman, a pour héros des aviateurs: c'est une histoire d'amitié virile où Gary Cooper fait une apparition et où Clara Bow, aimée de deux hommes, a un rôle central. Les combats, en plein ciel, sont évidemment spectaculaires.

Un film noir
Le film noir, futur grand genre américain, fait une apparition fulgurante avec «Les nuits de Chicago» (Underworld, 1927) de Josef von Sternberg, une histoire de gangsters à l'intrigue compliquée et qui choqua à l'époque par sa violence. Nous admirons surtout l'atmosphère que Sternberg a su lui donner. Sternberg, au fait, le troisième génie allemand exilé à Hollywood.

Comédies
Un autre genre, qui s'épanouira dans les années 30, c'est la comédie sophistiquée.Et déjà c'est Lubitsch (encore un génie venu d'Allemagne!) qui tourne la plus intéressante: «L'éventail de lady Windermere» (Lady Windermere's fan, 1925) qui s'inspire d'une pièce d'Oscar Wilde. Le Lubitsch encore un peu lourd de la période allemande est sur le point de réussir sa mue et, sous l'influence de Stiller et d'Oscar Wilde c'est la fameuse «Lubitsch touch» qui est en train de naître.

Fantastique
Malgré l'exemple allemand, pas encore de vrais films fantastiques, ni Frankenstein ni Dracula ni King-Kong. Mais Paul Leni, qui évidemment vient d'Allemagne, donne avec «L'homme qui rit» (The man who laughs, 1928), inspiré d'un roman de Victor Hugo, un film certes plus morbide que fantastique mais vraiment étrange et digne du grand cinéma allemand.

Fairbanks
N'oublions pas le bondissant Douglas Fairbanks qui sait comme personne monter à cheval, se battre en duel, sauter d'un deuxième étage, athlète autant que danseur. Son meilleur film, c'est sans doute «Le voleur de Bagdad» (The thief of Bagdad, 1924) de Raoul Walsh, merveilleux conte des Mille et une Nuits et dont Fairbanks est également producteur et scénariste.

Contes
Restons dans les contes avec deux films tirés de pièces de J.M. Barrie: «Peter Pan» en 1924, «A kiss for Cinderella» en 1925, tous deux tournés par Herbert Brenon, tous deux joués par Betty Bronson dont ce furent les deux seuls rôles marquants. Intéressante idée que de faire jouer Peter Pan, l'enfant qui ne veut pas grandir, par une fille de 18 ans.

Cecil B. De Mille
Il faut aussi dire quelques mots sur le grand Cecil B. De Mille que j'ai un peu trop négligé. Grand, sans doute, mais inégal. Avec une tendance agaçante à la grandiloquence, sans parler du manichéisme. Mieux vaut oublier «Forfaiture» (de 1915) qui fit pourtant sensation à l'époque et passa longtemps pour un grand film, ce qu'il est sans doute sur un certain plan mais qui m'apparaît comme une horrible bouillie raciste où le vilain amant sadique et sans pitié est comme par hasard Japonais (le péril jaune?!).
Mais Cecil B. De Mille est aussi l'auteur d'un beau film peu connu, «The godless girl» (en français: Les damnés du cœur, a-t-on idée!) où deux étudiants, un garçon et une fille, l'un croyant, la seconde athée, se retrouvent en prison pour avoir causé la mort d'une amie. Et puis «Les dix commandements», première version, de 1923, en deux parties: un prologue qui raconte l'histoire de Moïse, et un épisode moderne sur la lutte entre deux frères ennemis. Chez Cecil B. De Mille, la religion n'est jamais bien loin.

Femmes cinéastes
Il y a eu à cette époque quelques réalisatrices à Hollywood dont la plus connue est Lois Weber (1882-1939) qui réalisa au cours de sa carrière plus de 400 films, certains en collaboration avec son mari Phillips Smalley (ils divorcèrent en 1922). Pianiste, puis actrice de théâtre, Lois Weber se lança dans le cinéma à partir de 1907. Particulièrement intéressant semble être son thriller «Suspense» (1913) où une poursuite est filmée à travers le rétroviseur d'une voiture. Progressiste, elle a écrit que le cinéma «déchirait les frontières de l'ignorance et de la pauvreté» et fait des films pour lutter contre la peine de mort et le racisme. Son film le plus souvent cité aujourd'hui, «Where are my children?» (1916) s'intéresse au contrôle des naissances. Elle a fondé en 1917 une société de production et continué à faire des films jusqu'en 1934, soit cinq ans avant sa mort.
Autre cinéaste, un peu inattendue, Lillian Gish, qui réalisa en 1920, à l'âge de 24 ans le film «Remodelling her husband» où elle dirigeait sa sœur cadette Dorothy. Elle a sans doute réalisé, seule ou en collaboration, quelques autre films mais ils semblent être perdus aujourd'hui (comme d'ailleurs la plupart des films dirigés par Lois Weber).

La face sombre de Hollywood

On pourrait croire que le Hollywood de cette époque était peuplé d'une ribambelle de Charles Magnusson et d'Erich Pommer... Il n'en était malheureusement rien. En fait, les grands studios faisaient peser sur Hollywood une véritable dictature.

 

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