Le temps des sérials (1908-1928)


Série et sérial

Dans les premiers temps du cinéma il y a eu beaucoup de séries, courtes histoires centrées sur un personnage et qui racontent toutes sortes d'aventures généralement sans lien entre elles – le seul lien étant constitué par l'acteur qui joue le personnage central, Max ou Charlot, Bébé ou Onésime...
Le sérial apparaît un peu plus tard. Il s'agit d'une suite de films (chacun constituant un «épisode») qui raconte une histoire formée de diverses péripéties mais qui possède un fil conducteur, une logique interne. Pour voir tous les épisodes il faut aller au cinéma semaine après semaine. C'est l'équivalent du feuilleton dans les journaux. La suite au prochain numéro. Les Américains inventeront même d'interrompre chaque épisode au moment le plus palpitant, lorsque l'héroïne court un danger terrible... et il faudra attendre une semaine pour savoir comment elle va s'en sortir!

Le premier sérial est français mais il conte les aventures d'un détective anglais. Ah non, pas Sherlock Holmes! Mais Nick Carter. En 1908, Victorin Jasset tourne en 12 épisodes (dont chacun n'est guère qu'un court métrage) «Nick Carter, le roi des détectives» qui sera suivi par «Les nouvelles aventures de Nick Carter» et par «Les merveilleux exploits de Nick Carter». En 1910 il y aura Zigomar en 4 parties dont un Zigomar contre Nick Carter. En 1912 Les bandits en automobile (qui n'a que deux épisodes: est-ce vraiment un sérial?) content les exploits de la Bande à Bonnot. En 1913 ce sera Protea, une histoire d'espionnage autour d'un personnage féminin mais Victorin Jasset ne pourra pas achever cette histoire: il meurt la même année, emporté en quelques jours par la maladie.


Aux Etats-Unis
C'est aussi en 1913 que les Américains tournent leur premier véritable sérial, «Les aventures de Kathlyn», joué par Kathlyn Williams, une héroïne sans peur qui pendant 12 épisodes va parcourir l'Inde en échappant à toutes sortes de dangers à donner le frisson.

La firme française Pathé, qui cherche à s'imposer en Amérique, voit là une bonne occasion et produit «Les périls de Pauline» mis en scène par le Français Louis Gasnier et joué par l'Américaine Pearl White. C'est un succès planétaire. Si bien que la France produira aussitôt, avec la même Pearl White, «Les mystères de New York», un sérial interminable en 3 parties, chaque partie divisée en une douzaine d'épisodes (il y aura Les exploits d'Elaine, Les nouveaux exploits d'Elaine, La romance d'Elaine). Elaine est aidée par le détective Craig Kennedy pour lutter contre un méchant mystérieux et cruel qui se fait appeler «La main qui étreint». Un temps, Pearl White sera près d'être éclipsée par une rivale, Ruth Roland (Les aventures de Ruth, 1920)...
Tous ces films, même ceux produits par Pathé, sont américains. Il est vrai qu'en ces temps bénis du cinéma muet il n'était nul besoin de doublage: il suffisait de traduire les cartons d'intertitre et les films circulaient aisèment d'un pays à l'autre.


Quelques titres
En France il y a eu un engouement pour le sérial qui dura jusqu'au milieu des années 20. La plupart des personnages qui en étaient les héros ne nous dépayseraient pas. Presque tous, qu'ils s'inspirent de l'Histoire ou de la littérature, ont vu par la suite leurs aventures reprises par la télévision ou par le cinéma parlant. Ainsi:
- Rocambole (Georges Denola, 1914)
- Monte Cristo (Henri Pouctal, 1917)
- Rouletabille (Henri Fescourt, 1923)
- Mandrin (Henri Fescourt, 1924)
- Fanfan la Tulipe (.René Leprince, 1925)
- Belphégor (Henri Desfontaines, 1926)
- Vidocq (Jean Kemm, 1923)
- Surcouf (Luitz-Morat, 1925)
Et puis des épisodes de la Révolution Française, dans lesquels d'ailleurs la sympathie va aux contre-
révolutionnaires: «L'enfant-roi» de Jean Kemm (1924) ou «Jean Chouan» de Luitz-Morat (1926).
Plus mystérieux sont les titres de deux sérials de Germaine Dulac: «Gossette» (1924), «Le diable dans la ville» (même année), le premier probablement un mélodrame, genre alors très apprécié.


Feuillade et Fantômas
Mais tout cela n'est que de la petite bière et ces films-là sont aujourd'hui oubliés ou disparus et il n'est pas sûr qu'ils méritaient un meilleur sort. Non. Si le sérial nous intéresse encore c'est grâce à un homme qui y a trouvé ses plus belles inspirations, sa vocation et son génie. Le roi du sérial, c'est Louis Feuillade (1873-1925).

Ce n'était certes pas un débutant. Depuis 1907 il avait tourné environ 800 films, presque tous des courts métrages, lorsque Léon Gaumont le persuada en 1913 de porter au cinéma les aventures imaginées par Pierre Souvestre et Marcel Allain qui avaient publié, entre 1911 et 1913, 32 romans autour du personnage d'un criminel mystérieux surnommé Fantômas.

Ecoutez... Faites silence...
La triste énumération
De tous les forfaits sans nom,
Des tortures, des violences
Toujours impunis, hélas!
Du criminel Fantômas.
(Robert Desnos)

Bientôt, sur les affiches, le criminel masqué, vêtu de noir, très élégant, un poignard à la main, un haut-de-forme sur la tête, observe les passants d'un air narquois et indéchiffrable. Plus grand que nature, il enjambe un Paris réduit à l'état de maquette.
Ce personnage insaisissable, qui a toutes les audaces, toutes les cruautés, tous les cynismes, est le véritable héros de l'histoire. Le policier Juve et le journaliste Fandor, qui sont à sa poursuite, ne font pas le poids. Fantômas, joué par l'acteur René Navarre, est entouré par toute une bande à sa dévotion dont sa maîtresse, Lady Beltham (Renée Carl). Il incendie les entrepôts de Bercy, dresse un boa à attaquer ses ennemis, fait guillotiner un acteur à sa place, attache un homme au battant d'une cloche, se fabrique des gants avec la peau d'un mort pour laisser de fausses empreintes, prend la place d'un juge d'instruction...
Débridé, anarchique, d'une imagination folle, Fantômas est aussi empreint d'une étrange poésie et fait découvrir le Paris de la Belle Epoque sous des angles nouveaux.
De mai 1913 à mai 1914, Feuillade tourne cinq épisodes: Fantômas, Jude contre Fantômas, Le mort qui tue, Fantômas contre Fantômas, Le faux magistrat... Il n'y aura pas de sixième épisode. En août 1914, c'est la guerre et la censure ne tolère plus les criminels impunis; désormais ce sont les vertus patriotiques qui priment.


Les Vampires
Mais Feuillade est loin d'avoir dit son dernier mot. Démobilisé pour raisons de santé à l'été 1915, il met aussitôt en chantier un nouveau sérial de 10 épisodes. Cette fois, l'histoire sort de sa seule imagination et il en invente les péripéties au fur et à mesure du tournage. Les Vampires ne sont pas des morts-vivants mais une bande de malfaiteurs voleurs de bijoux dirigés par le Grand Vampire (Jean Ayme) et sa maîtresse et âme damnée Irma Vep (Musidora). Le journaliste Philippe Guérande, aidé par son ami Mazamette (Marcel Levesque) et son insipide fiancée Jane, enquête sur leurs crimes.
Les titres des 10 épisodes (qui sortent du 13 novembre 1915 au 30 juin 1916) sont des plus parlants. Qu'on en juge: La tête coupée, La bague qui tue, Le cryptogramme rouge, Le spectre, L'évasion du mort, Les yeux qui fascinent, Satanas, Le maître de la foudre, L'homme des poisons, Les noces sanglantes...
Après quelques épisodes, le Grand Vampire est assassiné. Satanas le remplace. Mais quelque temps après il se suicide et Venenos prend sa place. Cette hécatombe a son explication dans la guerre: «Les Vampires»sont tournés pendant la première guerre mondiale et les acteurs, successivement, sont mobilisés, il faut les remplacer et donc les tuer dans l'histoire. On a dit aussi que Jean Ayme aurait demandé une augmentation et que Feuillade qui, on l'a vu, écrivait le scénario au jour le jour, aurait pour cette raison, décidé de supprimer son personnage. Se non è vero, è ben trovato...
C'est délirant, anarchiste, amoral, et le collant noir qui moule les formes voluptueuses de Musidora fait hurler les ligues de vertu, si bien que le préfet de police interdit le film pendant deux mois. Scène célèbre: les Vampires donnent un bal et asphyxient leurs invités pour pouvoir voler leurs bijoux.
Feuillade aime tourner en extérieurs, il préfère de loin le plein air aux studios. Mais (raisons d'économie?), au Paris de Fantômas va se substituer la banlieue parisienne avec ses terrains vagues et ses usines, tout un aspect lugubre, gris et dépeuplé dont on découvre soudain la beauté sinistre.


Et la suite
L'année suivante, ce sera Judex qui, comme son nom l'indique, est un justicier. Il a juré de venger son père, victime des agissements du banquier Favraux. Ceux qui l'aident dans son entreprise sont le détective Cocantin (Marcel Levesque) et un gamin de Paris qu'on appelle le môme Réglisse (joué par le petit René Poyen, ex-Bout de Zan). Mais les choses se compliquent quand notre justicier s'éprend de la fille de Favraux, Jacqueline (jouée par l'exquise Yvette Andréyor), laquelle est persécutée par la cruelle Diana Monti (Musidora), maîtresse du banquier.
Judex, c'est le magnifique René Cresté, très grand, très mince, très beau, très ténébreux avec sa cape et son chapeau. Ce n'est peut-être pas un très grand acteur mais quel charisme!
C'est certes mélodramatique mais aussi très beau, avec des images qui font penser à la peinture impressionniste – de la vallée de la Seine en particulier.
Il y a 12 épisodes, projetés sur 12 semaines (du 19 janvier au 7 avril 1917). Titres des épisodes: L'ombre mystérieuse, L'expiation, La meute fantastique, Le secret de la tombe, Le moulin tragique, Le môme Réglisse, La femme en noir, Les souterrains du Château-Rouge, Lorsque l'enfant parut, Le cœur de Jacqueline, L'Ondine, Le pardon d'amour.

Judex aura une suite: «La nouvelle mission de Judex», 12 épisodes en 1918. Echec commercial. Il semble qu'aucun historien du cinéma ou critique d'aujourd'hui n'ait vu ce film, qui a peut-être disparu.

«Tih Minh», également de 1918, est plus connu et plus apprécié. Tih Minh est une jeune Indochinoise aux prises avec une bande de malfaiteurs anglais et protégée par un courageux explorateur joué par René Cresté, ex-Judex. L'histoire se passe sur la Côte d'Azur.

En 1919 il y a «Barrabas» qui n'est pas une personne mais un château et le repaire d'une bande de voleurs dirigée par «le banquier du bagne». Le fils du flibustier en 1922 est un sérial d'aventures et il a ses thuriféraires.

Moins connus sont les trois sérials mélodramatiques que Feuillade a tournés en 1920 et 1921: «Les deux gamines», «L'Orpheline», «Parisette», tous trois joués par Sandra Milovanoff. On dit que ces films-là préfigurent le néo-réalisme italien mais peu de gens aujourd'hui vivants semblent les avoir vus.
Feuillade est mort en 1925 d'une péritonite. Il n'avait que 52 ans.


Sérials d'ailleurs

Le sérial fut un genre international. La France et les Etats-Unis n'ont pas été les seuls pays à s'y intéresser. On peut citer quelques excellents sérials qui mériteraient d'être redécouverts.

En Allemagne:
Homonculus d'Otto Rippert (1916), en 6 épisodes. Le sujet d'inspire de «Frankenstein» mais va beaucoup plus loin: une créature fabriquée artificiellement par un savant fou prend le contrôle du monde, devient un dictateur pervers et déclenche une guerre qui détruit l'humanité. Cette histoire aboutira au docteur Mabuse et préfigure Hitler.

En Italie:
Le réalisateur et acteur Emilio Ghione imagine le personnage de Za-la-mort, sorte d'apache sentimental qui, flanquée de sa compagne Za-la-vie (Kally Sambucini) lutte férocement contre d'implacables ennemis. Le plus célèbre de ses films (très nombreux) est Les souris grises de 1918 (8 épisodes et 5 heures de projection).

Au Mexique:
L'automobile grise, d'Enrique Rosas en 1919. Mêlant scènes jouées et documents d'archives, ce sérial en 15 épisodes s'inspire de l'histoire vraie d'une bande de voleurs en auto qui avaient sévi quelques années plus tôt.

En Chine:
Incendie au temple du Lotus Rouge de Zhang Sichuan (1928-1931), film d'arts martiaux en 18 épisodes. Un des plus longs films de l'histoire du cinéma: 27 heures!

 

 

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